Propos recueillis par Olivier Monod, publié le 06/02/2014 à 10:59

À l’occasion du salon Expolangues, du 5 au 8 février à la porte de Versailles, à Paris, Henry Tyne, enseignant-chercheur en sciences du langage à l’Université de Perpignan Via Domitia, revient sur les conditions nécessaires au bon apprentissage d’une langue étrangère.

Le but de l’enseignement des langues est-il de rendre tout le monde bilingue?

Il y a encore quelques années, on partait du principe que le but de tout apprenant était d’atteindre le niveau du locuteur natif. Cette démarche est vraie pour un tout petit pourcentage des apprenants.

Il existe un large éventail de motivations et d’objectifs chez ceux qui font la démarche d’apprendre une langue, et particulièrement en milieu scolaire. Les langues vivantes sont une matière comme les mathématiques, par exemple, mais tout le monde ne va pas devenir bilingue, de la même manière que tout le monde ne deviendra pas mathématicien.

La maîtrise que l’on peut espérer atteindre d’une langue étrangère dépend donc de la motivation initiale?

Oui, c’est primordial. Mais c’est aussi la méthode d’apprentissage qui va devoir s’adapter à votre objectif. En réalité, il n’existe pas d’acquisition « globale » d’une langue, et on s’aperçoit qu’on a des compétences inégales en langues étrangères. Par exemple, on peut faire de vous un très bon utilisateur dans un domaine précis, mais ce n’est pas pour autant que vous aurez une bonne maîtrise « globale » de la langue. Cela amène à repenser la question de la maîtrise d’une langue.

Est-il plus facile d’apprendre une langue proche de sa langue maternelle?

Il existe deux types d’enjeux à ce sujet. Deux langues peuvent être proches génétiquement, c’est-à-dire avoir les mêmes racines, par exemple l’anglais et l’allemand (langues germaniques) ou le français et l’espagnol (langues latines), ou bien l’anglais et le français à plus grande échelle (langues indo-européennes). Dans ce cas, l’apprentissage va être facilité d’un point de vue lexical. L’apprenant peut s’appuyer sur une certaine transparence des termes pour comprendre le nouvel idiome.

Mais il existe également d’autres classifications possibles des langues selon, notamment, leurs caractéristiques morphologiques. Cette ressemblance porte plus sur la mécanique de la langue, sur la construction de sa grammaire. Où se place l’information grammaticale dans la phrase? Comment distingue-t-on un objet d’un sujet? Ainsi, l’anglais est-il à certains égards plus proche du chinois que du latin.

L’immersion totale est-elle la meilleure manière d’apprendre une langue?

Pas nécessairement. L’être humain n’est pas une éponge. On voit dans les populations de migrants des personnes complètement immergées dans une nouvelle langue mais chez qui le processus d’acquisition ne s’enclenche pas, ou du moins ne va pas au-delà d’un certain stade. Cela arrive quand la personne n’a pas le réflexe d’apprentissage, notamment à cause d’une scolarisation trop faible dans sa propre langue. Elle n’a pas nécessairement les outils pour traiter les stimuli extérieurs.

Ainsi, dans l’apprentissage des langues, la qualité des input compte autant que la quantité. Il est important de multiplier les situations et les modes d’apprentissage, par l’écriture, le dialogue, l’écoute, la lecture…

Existe-t-il un âge critique au-delà duquel on ne peut plus jamais atteindre le niveau d’un locuteur natif?

Il existe de nombreux débats à ce sujet. L’âge critique existe-t-il et si oui quel est-il? Plus on est jeune, plus on a à découvrir le monde. L’apprentissage d’une langue, quelle qu’elle soit, est donc plus « simple ». Mais je pense qu’il existe également une composante sociale.

Un enfant est sans cesse dans la répétition. On se comporte avec lui d’une manière bien particulière, que l’on ne peut reproduire avec un adolescent ou un adulte. Cette posture d’apprenant de l’enfant joue certainement un rôle dans la facilité qu’il a à apprendre.

Cela dit, en termes purement phonologiques, apprendre une langue sur le tard rend assez difficile l’acquisition d’une élocution proche des natifs.

Est-il plus facile d’apprendre une langue quand on en maîtrise déjà plusieurs?

Plus on connaît de langues, plus on se forme à apprendre des langues. On développe une compétence métacognitive qui permet de prendre du recul et d’avoir des références, des réflexes de comparaison… Mais on dit aussi que la dernière langue apprise peut aussi jouer le trouble-fête et faire des interférences lors de la découverte d’une nouvelle langue.

Nous avons effectué une étude à Nancy auprès d’étudiants étrangers, de langues maternelles très différentes du français et maîtrisant l’anglais . Concrètement, la connaissance de l’anglais leur permet de mieux comprendre le français. Mais il y a un paradoxe: la plupart d’entre eux refusent de se servir de l’anglais pour mieux comprendre le français. Cela tient à l’idée fausse selon laquelle pour bien apprendre le français il faut tout faire en français. C’est faux. On pourrait tout à fait imaginer des cours de français, comme langue étrangère, en anglais pour ces apprenants, où l’anglais servirait de point d’appui pédagogique. Mais je ne suis pas sûr que cette démarche trouve beaucoup d’échos en France…